L'interview décalée de Julien l'instit !
Dans notre nouvelle interview décalée, nous recevons Julien professeur des écoles depuis 17ans. Il nous raconte sa vision du métier, ses joies, ses difficultés et son yukulélé !
Bonjour Julien, est-ce que tu pourrais te présenter ?
Je suis prof depuis 17ans en Normandie. Je ne m’étais pas forcément destinée à ce métier là dans mes idées d’étudiant. J’ai toujours été un peu suiveur, j’ai suivi la scolarité classique sans trop me poser de questions. J’étais plutôt studieux mais à ma façon, c’est à dire en faisant tout au dernier moment. Et c’est encore le cas… (rires)
Ah parce que tout le monde ne fait pas comme ça ? (rires)
En tous cas c’est comme ça qu’on vit bien et sans ulcère à l’estomac (rires). Enfin arrive un moment vers 18ans où on te demande, notamment tes parents, ce que tu veux faire plus tard. Je ne savais pas du tout mais mon meilleur copain du lycée voulait faire prof de sport. Moi j’adorais le sport, je n’avais pas de sport de prédilection mais j’étais un peu touche à tout donc je me suis dit "allez pourquoi pas". Je rentre en STAPS à Rouen. Je fais le deug, la licence et je présente mon dossier à l’iufm pour faire la préparation au concours de prof d’EPS mais mon dossier est recalé. Je suis un peu déçu, en plus je ne comprenais pas vraiment pourquoi. L’année d’après, dans une année un peu transitoire, je rencontre quelqu’un qui avait suivi un peu le même chemin que moi. Il était contractuel en primaire dans le privé et il m’explique qu’avec ma licence de STAPS je peux passer le concours de professeurs des écoles. Il m’invite dans sa classe à observer et ça a vraiment fait tilt. Je ne voulais même plus passer le concours de profs de sport c’était ça que je voulais faire.
Donc c’est la confrontation avec la réalité du terrain qui a déclenché cette envie ?
Je crois que c’est la confrontation avec cette classe d’âge surtout qui m’a motivé.
La classe d’âge plutôt élémentaire ou plutôt maternelle ?
Ce premier contact, c’était des CM1 mais ça m’a conforté dans l’idée que j’étais très à l’aise avec cette classe d’âge là et les âges "collège" m’intéressaient moins finalement. J’avais l’impression, et c’est peut-être un préjugé, qu’au collège on mobilise plus d’énergie pour la discipline, la gestion de classe, les conflits entre les élèves. Je me suis rendu compte après qu’il y en a aussi en élémentaire évidemment mais on a une place plus centrale et on a plus de temps pour créer une relation avec eux. Donc c’est un concours de petites circonstances qui m’ont mené à ce métier. Ce n’était pas une vocation mais j’ai bifurqué de chemin en le découvrant et ce n’est pas du tout un choix par dépit.
Après j’ai passé le concours, j’ai fait une première année lambda avec deux mi-temps puis en deuxième année on m’a un peu envoyé à l’abattoir en ITEP (ndlr: institut thérapeutique éducatif et pédagogique) loin de chez moi. Là je parle en connaissance de cause, dans cet ITEP c’était compliqué parce que toute l’équipe pédagogique dont le directeur était partie donc tout le monde était nouveau, ça a été formateur mais ce n’est pas le métier que je souhaitais faire. Sur cinq enseignants, on était quatre T2 (ndlr: deux années d’ancienneté) donc on a vraiment subi.
C’est quand même violent comme situation à vivre.
Ah oui clairement, ce sont des postes qui sont destinés à des enseignants spécialisés et on balance des débutants. On nous avait promis une formation qui s’appelait “enseigner en ITEP sans la formation spécialisée” mais bon au final c’était juste aller observer dans un autre ITEP. Ça a vraiment été une année compliquée et on ne peut pas en vouloir aux enseignants de jeter l’éponge c’est dangereux pour eux comme pour les élèves. Ensuite j’ai fait sept ans de remplacements longue durée où j’ai enseigné dans tous les milieux, toutes les classes d’âge aussi du spécialisé (EREA, hôpital psychiatrique…) ça a été très formateur. Ce qui me plaisait le plus c’était la maternelle donc j’ai posé mes valises en maternelle parce qu’à cet âge là ils rigolent encore à mes blagues (rires). Maintenant, ça fait dix ans que je suis dans la même école maternelle, j’ai des petits/grands.
Et en tant qu’élève est-ce que tu as un souvenir marquant de l’école ?
Alors moi j’ai toujours été le clown à l’école mais le clown respectueux, je cherchais aussi à faire rire le prof et je ne débordais pas du cadre. J’étais plutôt bon élève et studieux. En CM1, on faisait des exposés et on avait toute la récréation seuls dans la classe pour préparer notre présentation. Clairement aujourd’hui en terme de sécurité on ne laisserait plus des enfants seuls en classe. J’étais dans la même classe que mon cousin et il était un peu barré aussi. On avait fait un exposé sur l’émission C’est pas Sorcier. On s’était déguisé et on avait la mise-en-scène comme dans l’émission, à la Fred et Jamy. On s’était vraiment éclaté.
Dans ta scolarité, est-ce qu’un enseignant t’as marqué ?
En primaire pas tellement mais j’ai le souvenir d’un prof de français au collège qui m’a beaucoup marqué. Il me faisait penser à Robin William dans Le Cercle des poètes disparus. C’était un petit monsieur avec une barbe. Il était vraiment d’une grande bienveillance et très gentil. Il m’a beaucoup marqué dans sa façon d’enseigner très positive.
Et en temps qu’enseignant est-ce qu’un évènement de ta carrière t’as marqué positivement ?
Il n’y a pas vraiment un évènement en particulier mais plein de petits moments qui te font sourire. Quand t’as un enfant avec qui tu sais que ça va être compliqué et que le temps et les approches que tu tentes finissent par porter leurs fruits c’est hyper gratifiant. Tu tiens avec ces petites victoires là, quand tu sens qu’ils commencent à te faire confiance.
Il y a aussi des mots de parents qui sont très touchants. Ils te remercient parce que ça se passe bien avec moi. Une petite fille qui pleurait tous les matins pour venir à l’école et avec moi ça s’est très bien passé, la maman était très reconnaissante et ça m’a beaucoup touché.
Et dans l’autre sens, est-ce que tu as vécu un grand moment de solitude ?
L’année dernière, j’étais en classe, je me penche pour parler à un élève et j’entends un grand CRAC. Mon jean s’était déchiré sur 30 centimètres. Là quand il est 11 heures du matin et que tu sais que tu vas devoir finir la journée comme ça, ça paraît long…
Un autre moment c’est quand on avait reçu des PES (ndlr: professeur des écoles stagiaire) dans l’école, une année ça se passe super bien avec une stagiaire et on jouait Cap ou pas Cap toute l’année. Et un jour mon Cap c’était de porter du vernis à l’accueil donc devant les parents j’ai eu l’air un peu con (rires).
Est-ce que tu as un moment favori dans la journée ?
Après le confinement je me suis blessé le genou donc j’ai été arrêté deux mois. J’ai profité de ce temps pour apprendre à jouer du yukulélé. Et j’adore apporter mon yukulélé en classe et dès que je leur joue trois accords ils sont comme des fous. Je m’occupe aussi de la chorale. J’adore le jour du spectacle où t’es super fier de ce qu’ils arrivent à faire, du travail que t’as fait avec eux. Les moments où on fait de la musique c’est ce que je préfère, ça permet de désamorcer plein de situations quand il y a trop de bruit ou trop d’énervement hop un peu de musique et ça calme tout.
Il y a des choses que tu n’aimes pas enseigner ?
En maternelle, il n’y en a pas vraiment. Mais autant si je prépare beaucoup le temps de classe, souvent je ne prépare pas toujours très bien les séances de motricité. Parfois je viens un peu les mains dans les poches et c’est un peu folklorique. Mais parfois c’est magique en improvisant on trouve un truc qui marche super bien. Mais non j’aime bien tout !
Est-ce que parfois tu as des petits chouchous ?
Ah oui forcément, le profil type des enfants que j’adore c’est ceux qui sont gentils entre eux et serviables. C’est pour ça que j’ai pas trop envie de lâcher les grande section parce qu’il y en a qui sont super autonomes et qui s’entraident, sont serviables. C’est génial. Puis ils te font des petits compliments c’est super chouette.
Ah oui c’est vrai que les “maitresse t’es trop belle” ça me manque!
Demande à tes collègues à la prochaine réunion de te faire des compliments (rires).
Selon toi, qu’est-ce qu’il faudrait changer en priorité à l’école ?
En concret, la première chose que je changerais ce sont les effectifs. Quand il y a des vagues de maladie et que beaucoup d’élèves sont absents, que t’en as moins de 20, on se rend compte que la qualité du temps de classe n’a rien à voir. Ça tourne tellement mieux, tu fais du travail de qualité. Tu rentres pas chez toi avec la tête comme une citrouille et eux non plus ! C’est vraiment beaucoup plus serein. On résoudrait pas mal de problèmes à mon avis en ayant moins de sollicitations et en ayant plus de temps pour chaque élève.
J’ai du mal à entendre aussi les gros stéréotypes sur les profs au quotidien. On est super investi dans notre travail, on y met notre coeur et ça peut décourager. J’aimerais bien laver le cerveau des gens qui ont cette image déplorable du métier et qui n’est pas juste.